Qu’est-ce qui est plus important : le processus ou le résultat ?

Pour expliciter la notion de processus et de résultat prenons un exemple. Supposons que vous êtes à Paris à 7:00 que votre chef vous demande de participer à une réunion qui commence à 14:00 le même jour à Rennes. Vous êtes en voiture. Vous décidez de quitter Paris à 12:00. Si vous arrivez à l’heure à la réunion et vous faites une note de frais de 58.95 EUR, votre chef sera probablement très satisfait. Vous êtes arrivé à l’heure et vous avez fait preuve d’une grande frugalité. Pour votre info, 58.95 EUR est le coût annoncé par Via Michelin. Très probablement, il ne cherchera pas à savoir comment vous avez conduit. Aviez-vous pris des risques en conduisant rapidement ? Par exemple, avez-vous fait le voyage en 3 heures 27 minutes comme le préconise le « standard » de Via Michelin? Dans cet exemple, le résultat a été irréprochable mais le processus mauvais. Vous avez roulé 75% au dessus de vitesse moyenne normale.

Voici une citation que les praticiens du lean connaissent très bien : « the right process will produce the right results ». Alors cela veut-il dire que Toyota ne serait pas intéressée par les résultats ?

La réponse se trouve dans la figure ci-dessous. Toyota est une entreprise dans laquelle on se préoccupe à la fois des résultats et du processus. Le processus est toutefois considéré comme étant plus important que les résultats. Dans la figure ci-dessous, j’ai utilisé le système de notation en cours dans système éducatif aux US :

  • Vous avez de bons résultats et vous avez suivi le processus alors c’est très bien et vous avez un A.
  • Vous n’avez pas de bons résultats et vous avez suivi le processus alors vous avez un B+. L’on considère que cet « échec » est une forme de variabilité (common cause variation) et qu’au prochain coup vous aurez de bons résultats : « the right process will produce the right results ».
  • Vous avez de bons résultats et mais vous n’avez pas suivi le processus alors vous avez un B-. De deux choses l’une : soit vous êtes quelqu’un de très chanceux ; soit vous êtes un génie qui a inventé une nouvelle méthode, meilleure que le processus standard. Dans notre exemple ci-dessus, vous êtes manifestement un gros veinard, pour être arrivé vivant.
  • Vous n’avez pas de bons résultats et vous n’avez pas suivi le processus alors vous avez un C.

 

Revenons à l’histoire du début. Votre chef aura agit comme cela se fait de manière classique. C’est-à-dire qu’il ne s’est intéressé qu’au résultat : vous êtes arrivé à l’heure et le coût du déplacement est bon. Cette situation correspond à celle que l’on trouve autour de nous et dans nos entreprises. Voir la figure ci-dessous.

Le concept du « management cross »

Le concept du « management cross » ou, littéralement traduit en français, « la croix managériale » est assez proche d’un autre concept déjà présenté dans ce blog. Cette idée est représentée sur le schéma ci-dessous. L’idée est la suivante :

  • A son arrivée à un poste, le manager a un certain nombre de directions à suivre. Si l’on représente la coupe dans un plan, cela donne deux options : celle en trait continue et celle en pointillée.
  • Quel que soit le choix effectué, l’apport du manager aura deux phases. Dans la première phase, il met en place des nouvelles idées et a un réel impact sur l’entreprise (il n’y a pas de jugement de valeur sur cet impact). Puis avec le temps, l’impact commence à se tasser. Le manager a alors atteint son le maximum de ce qu’il peut apporter à son entité. Il est alors temps de le muter vers une autre entité et de remplacer par un autre manager qui apportera une nouvelle empreinte.

Ce concept est m’a été communiqué par un ami américain spécialiste des ressources humaines.

Cette courbe montre que bouger les cadres trop rapidement comme le font certaines entreprises (on l’a vu avec France Télécom) n’a pas que de conséquences humaines mais limite l’apport des hommes sur l’organisation. Dans certaines entreprises, les cadres changent, en moyenne, de poste tous les 2 à 3 ans.   Cela n’a rien à voir avec l’approche de Toyota qui bouge très lentement ses cadres –au moins 7 ans à un même poste dans les métiers de la conception.

Qui connaît le Professeur Hofstede?

Prof. Geert Hofstede est Emeritus Professor à Maastricht University. Il est célèbre pour ses travaux sur les différences culturelles et leur impact dans l’entreprise. Ses travaux sont particulièrement intéressants pour les grands groupes internationaux installés dans le monde. Tout d’abord, ses travaux l’on amené à faire la mise en garde suivante :

Culture is more often a source of conflict than of synergy. Cultural differences are a nuisance at best and often a disaster.

Afin de caractériser les traits culturels des différentes cultures dans le monde, le Prof. Geert Hofstede a inventé les « Cultural Dimensions ».  Il y en a cinq, les voici.

Power Distance Index (PDI) : cela caractérise le niveau d’acceptation que les moins favorisés  ont de l’inégalité du pouvoir. En un mot, si les plus défavorisés acceptent que le pouvoir soit concentré dans les mains d’un certains nombre d’individus seulement, cet index sera très élevé.

Individualism (IDV) : l’opposé est le collectivisme, cet index sera d’autant plus élevé que la culture est individualiste. Par exemple cet index est très élevé aux USA. Cet index est particulièrement bas au Japon.

Masculinity (MAS) : l’opposé est la féminité, cet index sera élevé dans les sociétés dominées par les hommes. C’est aussi le cas où les valeurs « masculines », comme la compétition l’autorité et autres, sont prisées. Cet index est particulièrement élevé au Japon.

Uncertainty Avoidance Index (UAI) : Dans les sociétés peu tolérantes à l’incertitude et à l’ambigüité, cet index est très élevé (tout doit être bien structuré). Cet index est particulièrement élevé au Japon.

Long-Term Orientation (LTO) : Dans les cultures qui chérissent le court terme, comme les USA, cet index est très faible. Par contre dans celles où le long terme est une valeur, l’index sera très élevé. Cet index est particulièrement élevé au Japon.

 Alors que ce que cela signifie pour le lean?

Le graphe ci-dessous donne des « Cultural Dimensions » pour la France, l’Allemagne, le Japon les USA et le monde. J’ai réalisé ce graphe à partir des infos tirées du site http://www.geert-hofstede.com/. On peut y trouver les différents « Cultural Dimensions » sur plusieurs pays collectés par Hosftede, avec l’aide d’IBM depuis les années 70. Je vous conseille d’y faire un tour. On peut tirer les conclusions suivantes du graphe ci-dessous:

  • Les grandes différences de cultures entre le Japon, la France et les USA illustrent le challenge que Toyota a dû relever pour installer sa culture, le Toyota Way, dans les différents pays du monde.
  • Les « Cultural Dimensions » des américains et des japonais sont quasiment tous opposés. Malgré cela, Toyota a ouvert 6 usines aux USA  qui fonctionnent suivant le Toyota Way.
  • Les traits culturels des japonais sont plus proches de ceux des français que de ceux des américains. En conclusion la France est un terreau bien plus favorable pour le lean que les USA.
  • Les traits caractéristiques du lean : l’orientation long terme, la standardisation, le travail en équipes correspondent quasi littéralement aux index : LTO, UAI et inverse IDV. On peut aussi voir qu’ils se confondent avec les traits culturels japonais. Cela tend à aller dans le sens de ceux qui pensent que les japonais ont un avantage culturel dans le déploiement du lean. Cela n’est pas faux mais, comme le montre le cas des USA, ce n’est pas un point critique…

 

 Je reviendrai probablement sur ces « Cultural Dimensions » dans mes prochains posts.

La stabilité passe par plus de flexibilité

L’un des piliers du lean est le respect des hommes et cela passe notamment par la stabilité de l’emploi. Cela veut dire que la relation employé-entreprise doit être établie sur le long terme dans un climat de confiance mutuelle. Les salariés (ou les syndicats) doivent par exemple s’engager sur l’amélioration de la productivité. En retour l’entreprise s’engage à protéger les emplois en absorbant au maximum les contrecoups du marché. Soyons clairs : l’entreprise ne pourra jamais garantir l’emploi à vie ; même Toyota ne le garantie pas. 

Comment respecter un tel engagement dans un environnent normal, c’est-à-dire où le marché est dynamique ?

Il y a  quelques mesures qui permettent d’y arriver. La logique fondamentale de tout cela est d’avoir plus de flexibilité. En voici quelques unes :

  • Réduction de nombre de classifications des emplois. Je connais beaucoup d’entreprises dans lesquels le nombre de type d’emplois dans le usines dépasse allégrement 150. Dans l’usine de  Toyota du Kentucky où travaillent près de 6000 operateurs, on ne compte que 4 types de classifications : Team member, Skilled Team member, Team leader et Skilled Team leader. Pourquoi cela est-il important ? Eh bien, parce que cela permet de transférer les ressources d’un job à l’autre selon la nécessité du moment. Cela augmente l’employabilité de chaque salarié dans l’usine.
  • Un autre outil dont le principe est similaire est la rotation aux postes. Cela permet non seulement d’augmenter la productivité mais également de construire l’esprit d’équipe et d’améliorer l’ergonomie.
  • Autre outil utile : l’utilisation des intérimaires. Si l’on veut s’engager à long terme envers ses employés permanents il vaut mieux en avoir un minimum qu’un maximum (lapalissade, hein…). En terme concret, par exemple, Toyota utilise de manière standard 15 pourcent d’intérimaires. Cette proportion d’intérimaires est ajustée à la baisse quand la demande baisse. Par contre, Toyota limite la durée du contrat de ses intérimaires à 2 ans (le respect des hommes s’applique également aux intérimaires). Après deux ans, la décision est prise soit de les intégrer en tant que permanents soit d’arrêter le contrat. Au cours des ces deux années, l’intérimaire a quasiment les mêmes droits que le permanent (formation et autres)
  • Il est également important de prévoir un contingent d’heures supplémentaires à utiliser pour absorber des pics. Implicitement cela signifie que les usines ne travaillent pas 7 jours par semaine et 24 heures par jour. Cela signifie aussi qu’en temps normal l’operateur n’utilise pas ses heures supp.
  • Enfin, il est important d’avoir la vision long terme dans toutes les prises de décision…

Juste une phrase pour vous faire remarquer que la flexibilité des opérateurs n’est possible que s’ils sont formés.   On n’y échappe pas…

Payer les élèves pour réduire l’absentéisme?

Selon L’Expansion, « L’Académie de Créteil expérimentera à partir de lundi prochain un système de rémunération pour mettre un terme à l’école buissonnière. La polémique fait rage. »

L’expérimentation de ce type de mesure n’est pas nouvelle. En effet, le Secrétaire (ministre) à l’Education de Barack Obama, Arne Duncan, avait lancé initiative similaire en 2008 dans 20 écoles de Chicago.  Il s’agissait, en somme, de payer les étudiants pour les bonnes notes. Les meilleurs élèves pouvaient gagner jusqu’à 4000 dollars par an. Il s’agit là d’une mauvaise solution à un vrai problème : le manque de motivation des élèves. On substitue la mauvaise motivation à la bonne motivation. La mauvaise motivation est la motivation extrinsèque. La bonne motivation est la motivation intrinsèque. Comme je l’ai souligné dans un précédent post, la différence entre le deux est capitale. En plus la motivation extrinsèque tue la motivation intrinsèque. Il s’agit aussi de la ligne de séparation entre deux philosophies différentes. Dans la tradition lean, on cherche plutôt à augmenter la motivation intrinsèque. Dans d’autres milieux (tels que la finance) on utilise la motivation extrinsèque : cette logique n’est pas étrangère à la crise que l’on a connue… L’ironie c’est que la démarche Six Sigma étant née aux USA (pays de la motivation extrinsèque), dans certaines entreprises,  Green Belts, Black Belts, et autres sont intéressés au résultat… J’ai eu une discussion il y a quelques mois avec le responsable du déploiement du lean dans une grande entreprise qui défendait de tous ses forces cette idée sur le principe : « plus tu rapportes à la boîte plus tu dois être récompensé »… Alors que fait-ont de du teamwork, fondation du Toyota Way ?

Pourquoi faites-vous du lean ?

Les raisons pour lesquelles les gens font le lean sont diverses. Par exemple, le lean est très apprécié de certains managers ou dirigeants d’entreprises car cela permet de faire beaucoup d’économies et donc d’augmenter les profits. Cela fait plaisir aux financiers et augmente la valeur des actions en bourse ce qui, au passage, peut signifier une meilleure rémunération pour le manager ou le dirigeant. Faire plus de profits est tout à fait normal et même louable.

Il y a quelques années je me suis posé cette question. En quelque sorte, je me suis posé la question de ma « mission ». Deux raisons me sont remontées de manière évidente. Elles sont restées les mêmes jusqu’à ce jour. La première raison, qui est très égoïste et remonte de mes années au lycée, est la « résolution des problèmes ». Mon hobby préféré a toujours été la recherche de la solution simple et élégante. Deuxième raison : je me suis lancé dans lean parce que le cœur de cette « philosophie » est le respect des hommes. J’ai toujours pensé que le véritable succès et surtout le succès à long terme n’est pas possible sans cela. Je pense que c’est un point sur lequel notre société doit avancer. Il se trouve que ces deux raisons sont exactement les deux piliers du Toyota Way.

Comment peut-on être en cohérence avec ces deux piliers au quotidien ? Eh bien par exemple, chaque fois que l’on fait le bilan d’un chantier lean (kaizen, TPM, …), en face des euros économisés l’on devrait se demander ce qui a été fait pour mieux « respecter les hommes ». Très concrètement, un chantier kaizen devrait être accompagné d’une mesure de l’ergonomie « avant » et « après » – voir le tableau ci-dessous. D’autres projets, plus importants, pourraient être accompagnés d’autres « équilibrages » sur le plan du « respect des hommes »,  à imaginer. Conformément à la philosophie du lean, le plus important est de commencer et après d’utiliser la roue du PDCA pour vous améliorer…

 Et vous, pourquoi faites-vous du lean ?

 

Tableau