Respect des employés et changement de culture

Il y a quelque temps un des lecteurs de LMS a posté le commentaire suivant :

Le terme “respect for people” reste pour moi un trou noir, sans savoir ce qui se cache derrière. Je pense que beaucoup d’entreprises pensent respecter leur personnel, alors que ce n’est pas le cas si on le compare à la “Toyota way”. Où se situe la différence ? Pouvez-vous m’éclairer sur ce point ?

Dans ce commentaire transparait également la question sur le changement réel de culture qui doit accompagner le déploiement du lean. En effet beaucoup d’entreprises communiquent de plus en plus sur le respect et l’importance des employés. Ici comme ailleurs le changement de culture ne doit pas se limiter à la communication. Le véritable changement de culture ne peut résulter que de l’action sur le terrain au quotidien pour être crédible. Soyons concrets… Si une entreprise parle de respect des employés mais continue de ne rien faire pour améliorer l’ergonomie et la sécurité des postes, il ne s’agit que de paroles. Un autre exemple : comment considérez-vous les employés ? Etes-vous un adepte de la Théorie X ou de la Théorie Y ? En résumé, la Théorie X est basée sur la méfiance envers l’employé qui est perçu comme n’étant intéressé que par l’argent. Il ne veut prendre aucune responsabilité, est paresseux et voudrait faire le moins pour gagner un maximum d’argent. La Théorie Y, au contraire, a une vision plus positive des employés et de leur motivation. Elle considère que les gens peuvent s’auto-motiver, être autonomes et aimer leur boulot. Elle suggère une communication plus ouverte et une prise de décision partagée.  Je ne sais pas quelle est votre expérience, en ce qui me concerne, la plupart des managers que je connais sont plutôt des adeptes de la Théorie X. On a beau communiqué sur le respect des employés, cela ne reste que de la communication si l’on continue à manager façon Théorie X. Cela dit, il n’est pas simple de changer du jour au lendemain… J’ai pensé à cela il y a quelque temps. J’avais alors une discussion avec un grand dirigeant en charge de plusieurs usines. Le sujet portait sur l’utilisation potentielle des heures supplémentaires pour couvrir l’absentéisme. Comme je l’ai souvent proposé dans ce blog je défendais cette approche par rapport à celle qui consisterait à planifier des ressources fixes. Je lui ai expliqué que, comme le fait Toyota, je pensais que cela faisait plus sens financièrement d’utiliser des heures supplémentaires pour absorber certaines variabilités que d’engager plus de ressources pour les couvrir. Sur le fond, il était d’accord avec moi. Son seul point est qu’il craignait que les opérateurs utilisent ce moyen pour abuser du système et cumuler des heures supplémentaires afin de gagner plus. J’ai eu un instant l’intention de lui expliquer que si le système de rémunération comportait une partie variable liée à la productivité cela les empêcherait de jouer avec le système car plus d’heures supplémentaires feraient chuter la productivité et ce qu’ils gagneraient d’un côté serait perdu de l’autre… Je me suis alors arrêté un instant, juste avant de répliquer. En fait, me suis-je dit, « le problème ici n’est pas technique »… il m’a dès lors semblé qu’il s’agissait d’une question de changement de culture… culture de management. Je ne dis pas que « que tout le monde il est beau ; tout le monde il est gentil » simplement, cette méfiance trahit le fait que le respect des employés n’est pas encore une réalité… Et pourtant, ce dirigeant n’est pas seulement un supporter convaincu du lean mais aussi un leader de qualités exceptionnelles que je respecte énormément. Je ne pense pas une seule seconde qu’il ait fait preuve de cynisme…  Cela montre la difficulté du changement réel de culture, même pour les personnes les plus talentueuses et les mieux intentionnées.

Modèle mental lean versus Modèle mental conventionnel

Je voudrais partager avec vous une traduction commentée du travail de Pascal Dennis, auteur, entre autres, de « Getting the right things done ». Pascal Dennis utilise 6 points pour illustrer la différence d’approche entre une entreprise lean et les autres, celles qui ont une approche conventionnelle (cliquer ici pour télécharger). C’est ce qu’il appelle le modèle mental qui, selon lui, est à la base du comportement des individus dans les entreprises. J’ai trouvé ces 6 points ainsi que leur illustration très puissants.

Si vous devriez évaluer votre entreprise suivant le modèle mental lean quelle note lui donneriez-vous ?

Le lean et le licenciement

Tout d’abord il est important de comprendre que des deux piliers du Toyota Way, le pilier le plus important est celui du respect des hommes. De plus Toyota considère que son but est la « prospérité sur le long terme de l’entreprise et du salarié ». Dans ces conditions, même si Toyota ne garantie pas l’emploi à vie par contrat, il embauche tout employé comme si cela était pour la vie. La décision n’est pas prise à la légère. Par conséquent, Toyota va être hyper sélectif et prendre le temps nécessaire avant d’embaucher. Un contrat pour la vie (comme un mariage) mérite bien cela. Vous l’avez bien compris tout est fait sur le long terme. On n’embauche pas pour « combler un trou » : le départ soudain d’un employé ou une apparition imprévue d’un besoin … La question n’est pas « est-ce que cette personne peut faire l’affaire pour un poste précis » mais plutôt « est-ce que cette personne correspond à la culture de Toyota et aux compétences qu’il nous faut dans l’avenir? ». On sélectionne d’abord et on pense au poste ensuite. Très souvent les embauches correspondent au plan de développement à long terme de Toyota. La plupart des entreprises ont un plan de développement  à 3 – 10 ans. Elles savent dire quels produits elles lanceront ou quelles usines elles ouvriront dans 3, 5 voire 10 ans. Simplement très peu sauraient dire quelles compétences (qualitativement et quantitativement) il leur faudrait pour réaliser ces plans.

Puisque l’on embauche pour le long terme, le processus est donc très sélectif. Comme le décrit ce post (sous le sous titre « Chez Toyota, la technique est reine… » ) : 1.1% de personnes retenues dans certains cas. Tout cela est effectué en 6 phases de sélection ! Et il ne s’agit même pas de managers… Je parle bien des operateurs et leurs responsables immédiats (Team member, Team leader, Group Leader). Je ne connais aucune autre entreprise qui met autant d’énergie dans le recrutement. Arrêtons-nous un instant… Quand on voit le temps que les entreprises passent à sélectionner leurs fournisseurs de pièces ou de machines, le temps que l’on passe à rédiger les contrats afin d’être certain que pièces ou les machines de meilleure qualité soient livrées, le temps que l’on passe ensuite chez le fournisseur et dans les usines à prendre soin des pièces et des machines, on se demande pourquoi les entreprises en font si peu pour les employés, qui sont sensés être la ressource la plus précieuse. Revenons à Toyota pour signaler que les personnes recrutées soigneusement sont ensuite développées formées au quotidien. Du temps et beaucoup d’énergie sont investis à cette fin. Par exemple, l’operateur suivra un parcours de formation de plusieurs dizaines d’heures reparties sur 5 ans. Tout ce travail en amont réduit drastiquement le « taux de rebuts » –allusion aux efforts investis dans la qualité de pièces.

Alors, diront d’aucuns, comment s’adapte-t-on au dynamisme du marche ? La méthode classique qui consiste à embaucher à tour de bras quand tout va, pour se débarrasser « à la pelle » des employés quand les choses vont moins bien. Certes la flexibilité est nécessaire (cela fait d’ailleurs partie de l’un des 4 sous-buts de Toyota). Pour se donner plus de flexibilité tout en préservant un objectif « d’emploi à vie », il est important d’utiliser des leviers d’ajustement. Les plus courants sont : les heures supplémentaires et la main d’œuvre intérimaire (le standard chez Toyota est de 15%). D’autres outils de flexibilité sont listés ici.

Comme toutes les entreprises ne sont pas Toyota, très peu de précautions ont certainement été prises par le passé (recrutement, formation, développement et formation des employés). Elles arrivent à un moment où il faut licencier pour survivre… A ce niveau il faut donc éviter de se « louper ». L’exemple raconté ici décrit l’approche Toyota. En quelques mots, il est important de viser juste pour la suite; plutôt bas que haut. Prévoir dans son plan l’utilisation des leviers de flexibilité signalés ci-dessus. Puis bâtir un contrat avec les employés qui restent : « ils s’engagent sur l’augmentation de la productivité de l’entreprise et l’entreprise, en retour, protègera leurs emplois ». Les coups s’il doit y en avoir doivent être absorbés par les managers en premier lieu.

Sans nier le dynamisme du marché ou nier les sources d’échecs personnels (le comportement ou le refus de se développer de certains employés), les licenciements, surtout quand ils sont nombreux, sont le révélateur d’un échec de la politique de ressources humaines d’une entreprise. Les entreprises devaient suivre cet indicateur de même que celui du turnover avec la même passion que ceux de la productivité et du rendement financier. Surtout si elles pensent vraiment que « la ressource humaine est la plus précieuses de leurs ressources ».

Collaboration avec l’Institut Lean France Relais du Centre

Richard Kaminski, le directeur de l’Institut Lean France Relais du Centre m’a contacté récemment pour me proposer une collaboration afin de créer plus de débat autour des sujets du lean en France (lean.proforum.fr). J’ai naturellement accepté car le débat sur les sujets du lean font partie des prémisses fondatrices de LMS. Pour lancer cette collaboration, j’ai proposé à Richard de rédiger un post qui sera publié en même temps sur LMS et sur lean.proforum.fr et qui portera sur un des sujets abordés sur son site : Comment concilier « développer les hommes » et licenciements ? J’ai, pour ce faire, élargi et reformulé le sujet en « Le lean et le licenciement ». D’où le titre du post suivant.

Pour finir, je tiens à souligner et remercier Richard pour l’énergie  qu’il met dans la diffusion du lean en France.

Motivation des employés : aller au delà de l’argent

Un récent article de McKinsey présente les résultats d’une étude sur les facteurs motivateurs des employés. Comme le montre la figure ci-dessous (la figure est plus claire dans article de McKinsey), il apparait que des motivateurs non-financiers non seulement coûtent moins cher à l’entreprise (ce qui n’est pas négligeable en ce temps de crise) mais sont plus performants que les bonus. Il s’agit là d’un thème sur  lequel je suis très souvent revenu sur ce blog (Une ou deux choses sur le respect des employés, Encore de bonus et de rémunération de PDG…, La crise, l’aide aux entreprises en difficulté, la prise de risques et les bonus).

 Selon l’article, les solutions de motivation non-financières les plus efficaces sont :

  • les félicitations et la reconnaissance du manager direct
  • L’attention des leaders
  • L’opportunité de conduire des projets ou des taskforces importants


 

Selon l’article les “One-on-one meetings” entre les employés et les leaders sont très motivateurs.  A dire vrai, tout cela n’est pas nouveau. On semble redécouvrir les résultats des travaux de Herzberg ainsi que les notions de motivation intrinsèque et extrinsèque. Et l’une des questions que l’on voudrait se poser est pourquoi les managers n’utilisent pas aussi souvent ces motivateurs non-financiers, surtout vu ce que cela coûte. Une des réponses à cette question est donnée dans l’article. Les motivateurs non-financiers demandent du temps et une approche long terme. Les managers n’ont pas toujours ce temps, malheureusement. Ils préfèrent donc la solution facile du bonus…  Je pense qu’il y a également une dimension culturelle.

Finalement, comme l’indique le titre ce la figure ci-dessus, la motivation : ce n’est pas une question d’argent.

Pourquoi la vente d’Opel par GM aurait été une énorme erreur stratégique.

Apres moult hésitations GM a finalement renoncé à vendre sa branche européenne Opel. Comme explication de son virage à 180 degrés, GM souligne l’amélioration de sa situation financière. De toutes les façons ceux qui suivent un peu le dossier n’ont jamais compris la volonté première de GM de se débarrasser de son joyau européen. En voici quatre raisons pour lesquelles cette décision était une énorme erreur stratégique :

  • La rentabilité financière d’Opel : GM voulait se restructurer à causes des problèmes financiers. Alors comment ses dirigeants ont-ils pu penser se débarrasser de l’une des branches les plus rentables du géant américain ?
  • L’offre d’Opel : La demande des grosses voitures dont GM était le roi aux US est en train de « shifter » vers celle des voitures de tailles plus européennes. Dans ces conditions, la vente d’Opel semblait incompressible car elle privait le constructeur américain d’une bonne quantité de savoir-faire en termes de « petites voitures » ainsi que des produits prêts à être transférés aux USA (gain de temps de développement du produit)
  • Le savoir-faire « vert » d’Opel : Opel est la division du groupe GM qui a le plus développé des technologies pour une mobilité durablement « verte ». Alors comment comprendre que GM s’en débarrasse au moment où les gouvernements se préparent à renforcer la législation sur le respect de l’environnement?
  • Les intentions de Magna & Sberbank, les repreneurs potentiels : Certes, la guerre froide est terminée, mais les entreprises russes restent intéressées par la technologie occidentale. En vendant Opel à l’équipementier canadien Magna et à la plus grande banque russe, Sberbank, GM faisait une double erreur. Non seulement servir la technologie sur un plateau aux entreprises russes mais aussi nourrir un potentiel concurrent qui pourrait rapidement produire les voitures que demande le marché Nord Américain et aller concurrencer GM dans son jardin. On ne fait pas mieux en terme de « donner des munitions » à  l’adversaire ou au concurrent.

Finalement les dirigeants de GM se sont est ravisés et je pense qu’ils ont ainsi évité l’une de plus grosses bourdes stratégiques qui aurait été enseignée dans les « business schools » dans la rubrique contre-exemple.

« The Broken House »

L’actualité récente nous a « gratifiés » d’exemple d’entreprises où le respect de l’employé a encore des marges de progrès. Les suicide et les tentatives de suicides ici et là ne donnent vraiment pas l’image que l’on souhaite avoir des entreprises.

J’ai eu il y a quelque temps une discussion avec un sexagénaire qui avait passé près de 40 ans dans une usine. Au cours de ces 40 années, il avait vu défiler plusieurs types de management. Lors de notre discussion, je lui ai demandé quel management avait été, à son avis, le meilleur. Sans hésiter, il m’a répondu : « les japonais ». « Et pourquoi ? » lui ai-je rétorqué. Il a repris un certain nombre de raisons que je connaisais : il s’agissait pour la plupart des concepts management lean qu’il expliquait avec ses mots. Il faut préciser que cette personne n’avait jamais reçu de formation ou exposition au lean en tant que tel. En somme, il ne pouvait pas être en train de me restituer ce qu’il avait appris quelques jours auparavant. A un moment il a utilisé la phrase suivante : « Tu sais, avec les japonais, on était content de d’aller au travail le matin… ». Combien de personnes aujourd’hui vont au travail le matin avec les yeux qui brillent ?

De nombreuses entreprises qui ont copié le lean se sont contentées de n’en reprendre qu’une partie. le lean, le Six Sigma, le Lean Six Sigma sont à la mode. Simplement comme l’a affirmé un responsable de Toyota : « le cœur du succès de Toyota n’est aucun de ces outils-là, mais les hommes… ». Pour illustrer cette situation, ci-dessous, figurent deux maisons. La maison de Toyota Way où l’on peut voir les deux piliers. En dessous, se trouve celle de la Company X (qui est peut-être la votre) complètement déséquilibrée : une maison ne peut pas tenir sur un seul pilier. Cela est vrai pour le lean également. Alors, au delà des slogans, quel est le modèle de construction du lean dans votre entreprise : The Toyota way ou alors « The Broken House » ?